dimanche 7 mai 2017

Chapitre 1




Nimbin, 28 mars de l'an mille huit cent vingt sept

En ces jours pluvieux, le moral est à l'écriture et au partage.
Il y a un grand pas entre ne rien faire par choix et ne rien faire par cause naturelle. L'un repose, l'autre ennuie et peut rendre fou par la même occasion. Monsieur M. semble bien placé pour confirmer cette théorie. Un esprit comme le sien m'inquiète un peu, je dois l'avouer. Tout le quartier l'évite aujourd'hui. Sa moustache n'a de cesse de repousser les limites de l'arrogant égoisme.
Mais ce n'est pas pour cela que je t'écris.
Il y a une raison bien plus pressante que de simples comportements humains.

Autrefois, ta tante qui me connait bien m'a appris le sens de la bonté humaine. Il n'y a de répit dans l'illusion que nous apporte le besoin des autres. Oh, je m'égare encore. Mes classes de philosophie me pourchassent encore, malgré toutes ces années.

Voilà deux mois que nous sommes arrivés, Mlle Sophie et moi-même, en Australie. Comme je te l'avais précédemment écrit, l'appel du nouveau monde et les mystères qui l'entourent ont fait résonnance en nous.
Ce continent presque vierge d'humains a une aura indescriptible. Comme un sentiment de malaise. Un peu lorsque, te souviens-tu, nous étions petits et qu'insouciants des responsabilités, nous alertions les brigadiers du feu d'un faux départ d'incendie. Te souviens-tu des remontrances et des leçons de morale de monsieur Q. ? Elles duraient des heures et nous sentions ce même malaise que je t'evoquais plus haut, mélange d'amusement et de regret. Ah ça, les vastes distances entre les colonies ici nous laissent le temps de repenser à d'autres temps.

Lors de notre arrivée dans le port au sud de la Côte Dorée, après de longues semaines de voyage sur le bateau, nous avons été accueillis par la femme de mon cher ami Russell. T'avais-je déjà parlé de lui ? Je l'avais rencontré lors de ma première expédition australe. Apres quelques temps à aider à la construction de la colonie d'Alexandre, j'avais noué une amitié profonde et sincère avec cet homme. Nous étions depuis restés en contact épistolaire régulier au travers des océans. C'est pourquoi je l'avais prévenu de notre arrivée, Mlle Sophie et moi. Mlle Jeanette, sa femme, charmante à presque tout égard, nous a amenés jusqu'aux collines de Nerang. C'est là que sied leur maison. Entourée de palmiers et d'oiseaux tous plus différents de quoi que ce soit que tu puisses rêver. Certains, de la famille des perroquets, se partagent la panoplie intégrale des couleurs. Les cacatoès crient à s'en briser les cordes vocales, et si tu me permets l'expression, nous cassent également les oreilles. La vie sauvage est remplie de belles surprises et de quelques frayeurs, mais j'y reviendrai plus tard.

De ces collines, nous pouvions presque apercevoir l'océan et ses étranges pratiques sportives. Croiras-tu que les colons, après leur dure journée de labeur quotidien, utilisent une sorte de planche de bois pour glisser le long des vagues ? J'ai du mal à croire que ce sport puisse un jour arriver sur les cotes françaises. J'ai par contre une profonde admiration pour leur talent quant à se redresser et tenir debout sur leur planche. Pendant plusieurs dizaines de secondes, leurs cheveux longs volent au vent, les bras écartés en signe d'équilibre, et le sourire s'accroche sur leur lèvres.

Notre première occupation fût de trouver une calèche ou un chariot pour que nous puissiâmes alors nous déplacer. Fort heureusement mon ami Russell connait bien l'endroit et nous fûmes bienheureux de trouver une calèche rapidement. Il y avait quelques menus travaux à réaliser, mais dans l'ensemble, elle paraissait en bon état. Nous avions alors beaucoup de difficultés à nous décider sur le moyen de l'aménager et nous disputions beaucoup les solutions. Mais nous pouvons maintenant l'appeler, avec amusement, notre maison sur roues. Et pour améliorer notre confort, au vu de nos compétences de novices, nous avons réalisé un travail respectable. Nous avons trouvé de quoi nous faire un lit de fortune et une lampe à huile pour la lecture de Mlle Sophie. Elle est incroyable, elle dévore chaque livre avec un appétit gargantuesque. Elle a même fait l'acquisition de plusieurs livres écrits en langue anglophone. Les lire, lui a fait savourer sa compréhension grandissante jour après jour, et à la fin du premier, elle eut un regard rempli de fierté d'avoir réussi sans trop de difficultés. Pendant que je vacquais à mes occupations quotidienne, Mlle Sophie lisait. Elle pouvait finir un ouvrage en quelques jours. Et mon admiration grandissait à chaque seconde. Je ne connaissais pas ce coté d'elle.
Mais au bout d'un moment, nous commençâmes à ressentir une certaine gêne venant de Mlle Jeanette. Nous l'aidions à ses tâches quotidienne, mais à chaque fois que nous nous croisions, nous ressentions un trop plein d'energie mal orienté. Quelque chose la turlupinait, et nous pouvions sentir que nous étions pour quelque chose là dedans. Après une longue discussion, nous décidames alors de nous en aller, avec notre roulotte. Nous avions visité les grands bâtiments fabriqués par les premiers colons de la Côte Dorée, en l'an mille huit cent vingt trois, il y a de cela quatre ans quand Mr le capitaine John Oxley vint par la plage des sirènes, "Mermaid Beach". Nous avons également vu la construction du futur grand port du Sud, "Southport". C'est ici qu'ils comptent sur la future importation des matériaux pour la l'amélioration de Redcliff Point, une nouvelle colonie demandée par Mr Huxley, lorsqu'il a nommé la rivière Brisbane. Quoi qu'il en soit, nous en avons vu assez, et l'ambiance assez tendue entre mon ami Russell et sa femme, nous pousse à partir le plus rapidement possible.

Je reprendrai la plume prochainement, lorsque je saurai où trouver le papier pour t'écrire. Ma réserve d'encre est assez conséquente, mais le papier est rare dans ces terres sauvages. Lorsque nous étions enfants, à la Rochelle, te souviens-tu comment nous nous battions pour récupérer les lettres que nous apportait Mr le Postier ? Ce même sentiment m'habite toujours aujourd'hui lorsque je recherche du papier.

Je finirai cette lettre sur une pensée bien plus personnelle. Un ami, un jour m'a dit "le meilleur professeur que tu puisses avoir est l'expérience, et non pas au travers d'un point de vue détourné de quelqu'un". Il s'appelait Jack. Jack Kerouac.  Un jour on écrira sur cet homme. Je dois dire que ce que je vois de mes propres yeux, étant sur la route, je ne peux le décrire tant mes mots déformeraient la pure vérité. Rien ne vaut le fait de le vivre soi-même. Rien ni Personne ne pourrait exprimer en quelques mots, ou bien même en milliers, ce que Mère Nature a mis des centaines de millions d'années à créer. Je ne peux qu'espérer, à défaut de le vivre véritablement et de voir de ses propres yeux, que quelqu'un saura un jour capturer la réalité et la transposer telle quelle sur papier. Doux espoir d'un voyageur sans prétention.




“The best teacher is experience and not through someone's distorted point of view” - Jack Kerouac "On the road"

1 commentaire:

  1. Que j'aime tes mots mêlant le passé le présent et les rêves de demain...
    J'attends la suite avec impatience, bisous à toi toulaba

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